Esthétique des livres : Des Fleurs pour Algernon – Petits pains doux aux fleurs de sureau
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En quelques mots…
Pour ma part, j’ai préféré le roman, peut-être parce que je l’ai lu en premier (effet surprise de l’inédit), mais surtout parce que j’ai apprécié le développement de certaines actions ou réflexions, notamment sur la relation de Charlie avec sa famille, avec Alice, avec ses collègues de travail (une boulangerie dans le roman – qui m’a d’ailleurs inspirée la recette qui suit – contre une Compagnie de boîtes en plastique dans la nouvelle). De fait, le temps du récit est plus long de quatre mois dans le roman (du 3 mars au 21 novembre dans ce dernier, soit 9 mois, contre environ 5 mois dans la nouvelle, du 5 mars au 28 juillet). Charlie est aussi un peu plus jeune, 32 ans au lieu de 37 dans la nouvelle.
Suite à la nouvelle, j’ai enchaîné avec la lecture de la deuxième partie de l’édition augmentée, un essai biographique intitulée “Algernon, Charlie et moi”. Une lecture intéressante, n’apportant cependant pas d’explications sur le récit, par choix de l’auteur, mais racontant plutôt la genèse, l’écriture et les prolongements de l’histoire. En effet, celle-ci a fait l’objet de nombreuses adaptations, en série télévisée (The Two Worlds of Charly Gordon, 1961, Des Fleurs pour Algernon, réalisé par David Delrieux en 2006), puis en film (Charly, réalisé par Ralph Nelson en 1968), en comédie musicale et au théâtre.
Le profil de l’auteur
Dans les pages, l‘auteur pourrait être qualifié de “psychologue-humaniste-mélancolique“.
Humaniste, car l’être humain est placé au centre du récit. Charlie Gordon est comme un point d’ancrage autour duquel gravitent hommes, êtres et choses, et c’est par lui que l’auteur questionne les relations à l’Autre, principalement ses relations avec les autres humains (bien que la relation avec la souris Algernon soit aussi abordée). Ce point de vue unique et subjectif est donc lacunaire (on ne sait pas comment “l’autre” voit Charlie), mais aussi extrêmement riche car permettant d’explorer toute l’ambiguïté du personnage, entre l’ancien et le nouveau Charlie, l’enfant et l’adulte…
Quant aux autres personnages, ils sont aussi décrits dans toute leur complexité : il n’y a pas de véritables “méchants”, ni de parfaits anges. Les collègues de Charlie, par exemple, se moquent de lui à ses dépens au début de l’histoire, le détestent ensuite lors de sa fulgurante ascension intellectuelle, puis finissent par s’attacher à lui et à le défendre, montrant un tout autre visage, de l’empathie. Cette dimension empathique (du grec ancien ἐν, “dans, à l’intérieur” et πάθoς, “ce qui est éprouvé”), cette compassion (du latin compassio “souffrir avec, ressentir avec”) est omniprésente dans ce livre, sans basculer cependant vers de la pitié. La fin m’a terriblement émue (estomac noué, larmes qui perlent, membres lourds…!), peut-être parce que c’est un sujet qui me touche, mais je crois surtout que l’auteur arrive, sans fioritures, à nous faire prendre conscience de notre humanité, de notre capacité à éprouver, à sentir, à aimer.
“Mais par une nuit chaude, quand tout le monde se promène dans les rues ou quand je suis assis dans un cinéma, il y a comme un bruissement : je frôle quelqu’un un instant, et je sens la relation profonde entre les individus et la masse.” (p. 196)
Nostalgique enfin, car la question de la mémoire apparaît rapidement dans le récit, lorsque Charlie commence à se souvenir, à faire des rêves mettant en scène le passé, à prendre conscience du temps qui passe, qui est passé, qui vient, et donc à sa condition de mortel, à l’éphémère…
“C’est déconcertant, mais je vais me mettre à tout découvrir de ma vie.” (p. 59)
Face à ce flot soudain de souvenirs, dont il ne sait s’ils sont réels ou inventés, il oscille entre regret et acceptation : faut-il qu’il revoie ses parents ? Doit-il pardonner à ses collègues ? A-t-il bien fait d’accepter l’opération ? N’était-il pas heureux avant, même avec un faible QI ?
“Je voudrais que le souvenir soit une photographie pour que je puisse la déchirer et lui en jeter les morceaux à la figure.” (p. 124)
Ce sentiment d’insatisfaction apparaît et s’accroît en même temps que son intelligence, comme si cette dernière, en élargissant son champ des possibles, le perdait parmi toutes ces possibilités, toutes ces décisions, ces responsabilités à prendre, à tenir, à défendre. Même devenu autonome, suprêmement intelligent, n’a-t-il vraiment plus besoin d’aide ? Ou plutôt : pourquoi refuse-t-il désormais l’aide d’autrui, s’enfermant dans sa solitude ? Orgueil ? Inconscience ? Timidité ? Méfiance ?
“Plus tu deviendras intelligent, plus tu auras de problèmes, Charlie. Ta croissance mentale va dépasser ta croissance émotionnelle.” (p. 58)
L’atmosphère/le climat
“Sans que je sache pourquoi, je m’étais détaché émotionnellement de tout, des êtres et des choses. Et ce que je cherchais réellement, dans les rues sombres – le dernier endroit où j’aurais pu le trouver – , c’était un moyen de me rapprocher de nouveau des gens, émotionnellement, de faire partie de la foule, tout en gardant mon indépendance intellectuelle.” (p. 201)
“[…] l’intelligence et l’instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent pas cher.” (p. 244)
Et c’est en visitant l’asile Warren que les pages se réchauffent, dans ce qui est étonnamment le passage le plus lumineux du récit, bien qu’extrêmement poignant. Un lever de soleil, l’hiver.
La saveur
“Même un faible d’esprit désire être comme les autres hommes. Un enfant peut ne pas savoir comment manger ni quoi manger, et pourtant, il connaît la faim.” (p. 198)
Le parfum
Le rythme
La sonorité
La couleur
Comme nous l’avions vu ici, le bleu est une couleur ambiguë : jadis honnie (dans l’Antiquité, le bleu était la couleur du barbare, de l’étranger), elle est aujourd’hui synonyme de douceur et de calme. Une couleur apaisante, la couleur du ciel et de la mer. Mais aussi une couleur insaisissable comme l’eau, une couleur froide, une couleur mélancolique (le blues…).
Une mélancolie que l’on retrouve dans le gris, très souvent associé à la tristesse, à la morosité, voire même à l’ennui. Pourtant, le gris est aussi symbole de sagesse (sans doute de par l’idée de vieillesse qu’il véhicule, cette image du savant vieillard à la longue barbe grise), de connaissance (la matière grise). Enfin, le gris est nébuleux, incertain comme la fumée ou la brume.
Le personnage de Charlie concentre toutes ses caractéristiques du bleu et du gris : la douceur, la mélancolie, la sagesse et l’ennui, un caractère insaisissable et tumultueux.
Esquisse du potentiel lecteur exalté
“Je veux simpleman devenir un télijen come les otres de manière que je puisse avoir des tas d’amis qui m’aime bien.” (p. 26)
Le sensible, à fleur de peau, qui aime lire et frissonner, compatir avec les personnages, les considérer comme des proches, ceux dont on s’attache irrémédiablement et qui nous font du bien…
Celui qui aime les histoires fantastiques plausibles, sur fond de réalité.
Celui qui aime les histoires du quotidien, avec un soupçon d’étrange, et de poésie.
En conclusion, tout le monde, tout simplement.
En accompagnement…
Musique
Avec “Les Pianistes” et leurs gammes en crescendo, l’apprentissage de Charlie, d’abord laborieux puis de plus en plus facile, fluide.
La famille
HADDON Mark. Le Bizarre incident du chien pendant la nuit. Paris : Nil éditions, 2004. 304 pages.
En cuisine : les petits pains aux fleurs de sureau
Des fleurs… pour le titre, pour la fin, pour la douceur… Des fleurs de sureau, très parfumées, aux tiges légèrement amères (veillez à en enlever le plus possible)… Doux-amer.
Des nœuds pour la complexité, l’entrelacs du conscient et du subconscient (une forme très imagée de cerveau ?).
Pour 4 petits pains :
J’ai ici choisi la délicatesse des fleurs de sureau fraîches, car c’était la saison (et mon père s’est donné du mal pour en cueillir à la cime d’un arbre…), et qu’elles parfument agréablement ces petits pains. Vous pouvez aussi utiliser des fleurs de sureau sèches, en veillant toutefois à la qualité du produit : si trop de tiges sont présentes, l’infusion sera beaucoup trop amère.
Les fleurs de sureau peuvent aussi être remplacées par d’autres fleurs parfumées : fleurs de rose, d’hibiscus (les petits pains se teinteront de rose et auront une saveur légèrement acide), de coquelicot (pour une saveur fumée surprenante), d’acacia, de lilas…
Bonjour,
j'ai découvert ton blog ce printemps et c'est toujours avec grand plaisir que je lis tes nouveaux posts.
Cette fois, je laisse un commentaire car j'ai lu Des fleurs pour Algernon lorsque j'étais au collègue (je ne me souviens plus en quelle classe, mais cela fait au moins 15 ans… !). C'était notre professeur de français qui nous l'avait fait lire. Je crois que je l'ai relu 2 fois par la suite (entre 15 et 20 ans). J'en garde un très bon souvenir.
Je vais voir si à la médiathèque de ma commune se trouvent les autres ouvrages dont tu parles ici (les "petits frères").
Merci 😉
Bonjour Élodie,
Merci pour ton joli premier message, et de me suivre si régulièrement, cela me touche beaucoup.
Je pense que c'est un livre que j'aurai plaisir à relire, tout comme j'ai aimé relire Le Bizarre incident du chien pendant la nuit récemment…
Belle lecture à toi, et à bientôt !