Croquettes pommes de terre-ortie ○
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Il y a bien longtemps, l’ortie était la plus douce des plantes. On s’y allongeait pour se reposer en contemplant le ciel, les nuages qui filaient ou la belle étoile. Un édredon de chlorophylle. L’odeur qui en émanait était fraîche et subtile, une fragrance verte et légère. On caressait ses feuilles, on les cousait ensemble avec délicatesse pour en faire des étoffes légères et soyeuses. On récoltait ses jeunes pousses, tendres et fraîches dès que les beaux jours arrivaient. On les mangeait avec délice, crues ou cuites, en pesto, en soupe, en galettes, en gâteaux. On en séchait toujours une large partie pour reverdir le blanc de l’hiver.
On vénérait sa protectrice, la nymphe Urtica, pour ses multiples et généreux bienfaits. C’était l’une des filles de celui que l’on appelait le Père des Forêts, et que l’on apercevait parfois parmi les feuillages, à travers les troncs d’arbres, traînant sa longue chevelure verte et fleurie sur plusieurs mètres.
Mais parmi les sœurs d’Urtica, Belladonna était rongée par la jalousie. Elle avait beau porter un si joli nom, elle se sentait délaissée, dédaignée au profit de la douce Urtica, si banale et si naïve. Elle avait beau se faire belle, avec ses fleurs pourpres en forme de clochettes et ses fruits couleur ébène, et surplomber de sa haute taille ses insignifiantes petites sœurs, on la fuyait comme la peste. Il faut dire que ses larges feuilles un peu visqueuses dégageaient une odeur peu plaisante au froissement, déclenchant des moues de dégoût. Son amertume était telle et ses pensées si sombres qu’elles en avaient empoisonné son cœur. Ses baies luisantes à la saveur douceâtre s’étaient chargées de venin, et avaient plus d’une fois trompé les jeunes gourmands inexpérimentés. On l’évitait donc, la considérant comme l’une de ces harpies qui vous susurrent un chant enivrant avant de refermer leurs griffes sur vous.
Belladonna s’en alla donc visiter la Sorcière des Brumes, qui vivait dans une vieille cabane située au sommet d’une colline toujours cernée d’un épais brouillard gris.
“- Que désires-tu, ma belle enfant, toi qui as déjà le charme vénéneux des tentatrices ?” lui demanda la Sorcière vêtue de fumée sitôt que Belladonna fut plantée au seuil de sa porte.
“- Oh, laisse-moi deviner,” continua la voix rauque, “Tu as le cœur plein de rage.
Tu veux rendre rêche ce qui était soyeux,
Brûlure ce qui était caresse,
Répulsion ce qui était réconfort,
Menace ce qui était promesse,
Malédiction ce qui était louange.
J’ai ce qu’il te faut. Prends ces deux flacons, et verse-les l’un après l’autre à la racine de celle qui tu envies. Le premier transforme tout pelage soyeux en bris de verre acérés, le second tout suc en poison. Désormais elle brûlera, la toucher sera torture et on la fuira comme on te fuit, toi. “
Belladonna s’en fut, cachant dans ses feuilles les deux potions. Lorsque la lune fut haute, elle s’enveloppa d’un manteau de nuit et déversa le contenu des deux fioles au pied d’un immense champ d’ortie. Une vapeur verdâtre dans les airs, un frémissement dans le silence… Un silence de bien courte durée, puisque soudain des voix s’élevèrent aux quatre coins de la forêts, des cris de stupeur, de douleur, des gémissements, et même quelques injures. Les paisibles dormeurs se levèrent prestement, se frottant vigoureusement la peau, et fuirent en sautillant ce qui avait été quelques minutes auparavant leur couche moelleuse.
La douce ortie était devenue piquante, et désormais on s’en protégea, on l’arracha, on la maudit, on oublia même qu’elle pouvait nourrir et soigner. Rares étaient ceux qui osaient encore le cueillir et la consommer.
Depuis cette nuit maudite, la nymphe Urtica n’était plus que l’ombre d’elle-même, elle qui n’avait pas de plus grande joie que d’apporter baume et réconfort aux êtres terrestres. Chaque plainte due à ses piqûres, chaque plant arraché avec brutalité, chaque injure à son égard lui était un supplice. Elle-même ne pouvait plus parcourir ses champs d’orties sans un large manteau, des bottes et des gants.
Or il y avait, planté non loin de là, une plante au goût de champignon : le plantain. Son elfe protecteur, Plantago, s’éprit violemment de la belle Urtica. La voir errer, mélancolique, enveloppée des pieds à la tête, le plongeait dans un profond désarroi. Il résolut de s’en approcher, bien qu’il dût traverser un immense champ d’orties, promesse de démangeaisons et de brûlures insoutenables. Mais quelle ne fut pas sa surprise de n’éprouver ni douleur, ni même la moindre sensation de chaleur en enjambant les plants verts et dentelés !
Le voyant s’avancer, impassible, Urtica ne put s’empêcher de le mettre en garde :
“- Sors de ce champ, malheureux ! Ne sens-tu pas mes feuilles lacérer ta chair ?
– Non point, belle amie. Je ne ressens qu’une légère caresse, fort agréable, ma foi.
– Par quel miracle est-ce possible ? Personne ne peut les toucher sans souffrir, pas même moi, leur esprit protecteur !”
De rage, elle enleva ses gants et empoigna une large touffe d’orties, avant de la lâcher aussitôt, les mains rougies, les larmes perlant à ses yeux.
Plantago effleura alors ses paumes meurtries, et la douleur s’effaça doucement, comme si une brise fraîche et apaisante était venue caresser sa peau.
“- Le suc du plantain soulage les piqûres d’insectes et cicatrise les plaies, il semblerait qu’il agisse aussi sur vos brûlures… Dorénavant, j’apaiserai ceux que ton contact blessera.
De ce jour, Urtica et Plantago ne se quittèrent plus. Là où s’enracine l’ortie, le plantain n’est jamais bien loin, calmant les démangeaisons des cueilleurs trop hardis pour prendre des gants. Toutefois ceux qui savent se délectent encore de sa tendre saveur, et bénissent celle que les ignorants considèrent encore comme une mauvaise herbe (les malheureux !).

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Des blogs et des plantes…

Douce ortie
Grande et petite, piquante et brûlante
Notons que le terme latin urtica, (qui a donné urticaire, urticant…), viendrait du grec οὖρον, oûron, “urine”, ce qui s’expliquerait par les qualités diurétiques de la plante, et/ou bien du latin urere, “brûler”, allusion aux propriétés haptiques de l’ortie…

Habitat
Forme et silhouette
Pour en savoir plus sur les graines d’ortie, leurs bienfaits et leur utilisation, allez donc lire l’article très complet de Herbio’tiful.
En cuisine ?
Ce serait dommage de s’en passer…
L’ortie est une plante revitalisante, stimulante et reminéralisante, connue pour être un tonique général. Elle redonne de l’énergie et améliorerait le moral, parfaite pour prévenir les anémies ou surmonter un état de fatigue ou d’épuisement, qu’il soit ponctuel ou chronique.
Les feuilles sont très riches en protéines complètes, équilibrées en acides aminées (25 à 40 %). Elles contiennent aussi de nombreux flavonoïdes aux propriétés antioxydantes, des vitamines, des sels minéraux et des oligo-éléments. Elles contiennent ainsi :
♦ 333 mg de vitamine C pour 100 g, soit 7 fois plus que l’orange*
♦ 8 mg de fer pour 100 g, soit 2, 5 fois plus que les épinards (3 mg). De plus, les feuilles étant bien pourvues en vitamine C (duo synergique, la vitamine C favorisant l’absorption du fer), ce fer est facilement assimilable par notre organisme*.
♦ 630 mg de calcium pour 100 g, soit presque autant que certains fromages (comme la mozzarella, le gouda, l’edam, le cheddar, le roquefort…), et davantage que les épinards ou les blettes (environ 100mg/100g)*.
* Ces données sont issues de l’article “Les Plantes sauvages à l’honneur”, rédigé par l’ethnobotaniste François Couplan, dans le magazine mensuel et gratuit Biocontact n°267, d’avril 2016, pp. 82-84 (disponible en magasin bio).

Outre ces qualités nutritionnelles, la plante est connue pour ses propriétés médicinales, tant en interne qu’en externe.
Les feuilles d’ortie sont réputées anti-inflammatoires, détoxifiantes et diurétiques. Elles sont ainsi particulièrement recommandées en cas de troubles de la prostates, d’inflammations urinaires et de calculs rénaux, souvent associées au pissenlit (un article sera bientôt consacré à cette jolie plante soleil ♥).
Astringentes, elles sont utilisées contre les hémorragies d’origines diverses.
Elles feraient en outre diminuer le taux de sucre dans le sang, et seraient donc recommandées aux diabétiques.
Elles sont idéales pour faciliter l’allaitement, car elles stimulent la production du lait et l’enrichissent. Attention cependant : lors de mes recherches, j’ai lu qu’elle serait à éviter avant l’accouchement, de par ses propriétés abortives (selon Cécile Mahé, ingénieur agronome, du site La Sorcière et le Médecin, par exemple), bien que d’autres sources semblent au contraire la recommander.
Utilisées en cataplasmes (notamment en association avec de l’argile), elles soulagent les dermatoses comme l’eczéma, le psoriasis et les dartres de par leur action dépurative, mais aussi les articulations douloureuses (rhumatismes, arthrite). Un autre vieux remède, bien moins délicat, consiste à se frictionner les points sensibles avec une bonne poignée d’orties !
L’ortie stimulerait en outre la pousse, non seulement des cheveux (attention : l’ortie fonce les cheveux), mais aussi des végétaux. Le purin d’ortie, obtenu en faisant macérer les plants entiers dans de l’eau, est bien connu des jardiniers comme accélérateur de croissance.

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Sources
Carnaval “Des blogs et de plantes”
Ortie
COUPLAN François. “Les Plantes sauvages à l’honneur”. In Biocontact n°267, avril 2016, pp. 82-84 (disponible en magasin bio).
FloraMédicina (école d’herboristerie). “Ortie – monographie”. In Floramedicina [En ligne].
LOUIS Linda. L’Appel gourmand de la forêt. Paris : La Plage, 2011. 320 pages.
MAHE Cécile. “L’ORTIE, UNE PLANTE TELLEMENT BANALE QU’ON EN OUBLIERAIT SES VERTUS REMINÉRALISANTES ET DÉPURATIVES”. In La Sorcière et le Médecin [En ligne]. Mis en ligne le 20 février 2015.
Séverine d’Herbio’tiful. “Graines d’ortie, bienfaits et utilisations”. In Herbio’tiful [En ligne]. Mis en ligne le 5 avril 2016.
VÉRON Ophélie. “Mini-cakes et muffins à l’ortie (vegan)”. In Antigone XXI [En ligne]. Mis en ligne le 20 mai 2014.

Une très jolie recette gourmande à souhait !
Que dire après un tel article ! Pour le récap', la barre est haute ! Ton conte-recette est merveilleux, ton article magnifiquement documenté et la recette très joliment illustrée en plus d'être sûrement délicieuse…
Alors merci pour ta participation au Carnaval des Blogs et des Plantes 🙂
@ très bientôt
Merci beaucoup Somphet ! N'hésitez pas à la tester et à me dire ce que vous en pensez… Belle journée à vous.
Oh, merci à toi Céline, pour avoir proposé l'ortie, un choix qui m'a beaucoup inspirée ! Je suis très heureuse d'avoir pu participer à cette édition, et j'ai hâte de voir le récapitulatif ! Douce journée à toi.
Une recette gourmande très tentante. Je ne connaissais pas cette association, et pense l'expérimenter bientôt 😉 Merci
Bonjour Cathy,
L'ortie a une saveur très douce, très fraîche, qui se marie bien avec le côté chaud et réconfortant des pommes de terre. Mais on peut la remplacer par d'autres herbes, comme du persil, du thym, de la menthe, du basilic, ou même des épinards !
Je vous souhaite de belles expérimentations gourmandes !
pas mal du tout cette recette! j'aime beaucoup le orties en cuisine, mais j'avoue faire souvent les mêmes recettes! je garde sous le coude! 😉
Bonjour Angie,
Merci beaucoup ! J'aime aussi beaucoup le goût de l'ortie, et ces croquettes changent un peu de la soupe ou de la tarte (très bonnes aussi d'ailleurs). Chez nous, c'est devenu une recette de base indispensable !
J'ai trouvé ton conte merveilleux !!!
Oh merci Aud Verveine, c'est adorable !
Merveilleuse journée à toi.